Cette article est constitué principalement de citations du livre publié en Décembre 2010 par Jean-François Serval et Jean-Pascal Tranié aux éditions Eyrolles (préface Christine Lagarde), et s’intitulant ‘La monnaie virtuelle qui nous fait vivre’ (sous titre :’L’économie à l’épreuve de l’innovation financière’). Tous les passages du livre sont notés en italique.Cet ouvrage est d’une densité extraordinaire et je ne saurai que trop le recommander, il apporte un éclairage nouveau sur la crise récente, en insistant notamment sur le rôle des normes comptables.
Il décrit parfaitement le fait que les autorités de régulation monétaire que sont les banques centrales, ont perdu tout contrôle sur le mécanisme de création monétaire, en ne prenant pas en compte les gonflements patrimoniaux privés (via notamment l’explosion de la taille des bilans des entreprises en général, et des banques et assurances en particulier).
Les patrimoines, rendus liquides et échangeables grâce à la titrisation des actifs et aux contrats de garantie CDS, ont par le biais de la réévaluation en valeur de marché augmenté les actifs des ménages et des entreprises, leur permettant d’accroître leur endettement en contrepartie, provoquant un gonflement de la masse monétaire en circulation et une hausse de l’inflation réelle, bien que niée par les dogmes et les outils de mesure dépassés des banquiers centraux.
Cette bulle de prix, notamment immobilière a crevé en 2007-2008, mais la réévaluation en valeur de marché a été suspendue en septembre 2008 pour éviter la mise en faillite de gros établissements financiers que l’ajustement des prix à la qualité des gages initiaux aurait du provoquer. Ces établissements ont été sauvés parce que les autorités considèrent que leurs faillites créeraient une crise systémique.
Au final, les pertes réelles des banques et assurances fautives ont été étalées dans le temps grâce à un changement de règle comptable, et ces établissements voient leurs profits à court terme exploser grâce aux politiques de taux quasi nuls : d’une part l’effet déflationniste que la crise aurait du avoir a été stoppé et d’autre part, les taux ont encore été baissés pour tenter de remettre a flot des établissements dont les pertes à prendre sont encore mal connues et probablement colossales.
Les auteurs du livre étudié ici proposent pour éviter un nouveau dérapage incontrôlé de nombreuses réformes, visant notamment la mesure des masses monétaires en circulation et de l’inflation, et la refonte globale des règles de valorisations comptable des instruments financiers.
En attendant, ils reconnaissent que aujourd’hui, rien n’a changé, et que les banques et autres assurances, bien que soutenues massivement par les autorités publiques, continuent à agir en dehors de tout contrôle réel, et sont les principales bénéficiaires des taux anormalement bas , maximisant leurs profits à court terme et rémunérant actionnaires et traders.Les taux sont trop bas compte tenu des bulles inflationnistes sur les matières premières et l’immobilier, mais ces taux ne peuvent être remontés sans voir ressurgir le risque de faillites bancaires massives (les pertes à long terme des banques non encore comptabilisées, ne seraient plus compensées par des gains opérationnels de transformation à court terme).
Encore une fois l’analogie médicale est excellente ; on a relancé le coeur du système en 2008, mais il fonctionne de moins en moins bien, et cela coûte de plus en plus cher.
Ainsi, le maintien du système en vie profite aux agents qui l’ont poussé à ses limites !!
Au cas où le lecteur ne se sentirait pas la force ou le temps de continuer cette lecture fastidieuse, je le laisserai là avec le passage suivant de l’ouvrage :
‘Le 30 Septembre 2008, la SEC et le FASB assouplissaient la règle comptable imposant d’évaluer les instruments financiers dans les bilans à leur valeur de marché et autorisaient le passage au mark to model. Le 15 octobre, le règlement CE 1004-2008 relatif à l’IAS n°39 et l’IFRS n°7 autorisait lui aussi le reclassement des instruments financiers ne faisant pas l’objet d’un marché actif et donc devenus impossibles à valoriser [..]les normes imposent aux entreprises pour l’évaluation de leurs actifs des valeurs qui ne sont pas celles de leurs décisions économiques [..] Cette forme de collectivisation des entreprises au sein d’un système macroéconomique global, aurait pu entraîner une cascade de faillites en chaîne du fait de la chute brutale des valeurs de marché dans les bilans des banques et des assurances à l’automne 2008. Heureusement, le 15 Octobre 2008, sous la pression des gouvernements, la norme comptable a été décrochée’
Ces changements de règles comptables constituent effectivement un point crucial dans l’appréhension de l’économie actuelle.
Pour ma part, je doute qu’il soit effectivement ‘heureux’ que les banques et assurances aient été sauvés de la faillite par un changement de règle ex-nihilo (qui peut s’apparenter à une ‘arnaque comptable’), et que ces agents soient considérés comme ‘Too big to Fail’, principe au nom duquel on nationalise leurs pertes alors que leurs profits demeurent privés. Personnellement, je recommande la nationalisation de toute institution bénéficiant d’une garantie explicite de l’Etat (cela impliquerait une segmentation des banques).
Les auteurs n’envisagent pas une réforme bancaire en tant que tel (comme une séparation formelle banque de dépôt/banque d’investissement). Pourtant, les métiers et les risques portés sont trop différents pour être supportés par une même structure capitalistique, et par une même garantie publique. D’une manière générale, le blanc seing donné aux banques par les autorités publiques est insupportable.
Le dépassement des autorités politiques monétaires, juridiques et comptables par des entreprises et des capitaux concentrés et transnationaux me semble rendre bien improbable la mise en application des réformes préconisées par les auteurs (par ailleurs fortes a -propos).
Dans ce contexte, et contrairement aux auteurs, j’aurais préféré qu’on laisse faire les faillites.
1 Toile de Fond
Depuis 20 ans, nous assistons à l’émergence de progrès technologiques majeurs (informatique, téléphone, Internet) et à une délocalisation massive des capacités industrielles des grandes zones de consommation (en Europe et aux Etats-Unis ou le taux d’utilisation des capacités industrielles atteint 71.4% en Juin 2010, très inférieur à la moyenne de 80.8% enregistrée depuis 1948) vers les zones de production à bas coût.
Ces deux phénomènes sont par nature déflationnistes, puisqu’ils apportent des gains de productivité et des baisses de coûts. S’ils ont amené de la croissance en terme de PIB, ils ont été destructeurs d’emplois dans les pays riches. ‘Le développement inexorable des entreprises de la high tech dans l’ensemble du monde ne compensent pas l’emploi de l’industrie manufacturière : 80 000 salariés chez Microsoft, 35000 chez Apple, 23000 chez Google (fin septembre 2010), tandis que General Motors passait de 618000 en 1980 à 110000 en 2008..’
L’absence d’inflation sur les prix à la production a justifié pour les banques centrales une baisse des taux continue depuis 30 ans pour tendre vers 0% aujourd’hui. Cette baisse des taux a favorisé un endettement massif de la part de tous les agents économiques. Ainsi l’Endettement Intérieur Brut (EIT), indicateur fournit par la Banque de France, regroupe tous les crédits aux entreprises, aux administrations publiques et aux ménages provenant aussi bien du système bancaire que des marchés financiers. ‘L’endettement des ménages est passé de 21 à 54 % du PIB et l’endettement total de 94 à 208% sur la période 1980-2010’. La dette brute cumulée des ménages, entreprises et états atteint fin 2010 180% en Allemagne, 191% dans la zone euro, 280% aux Etats-Unis et 315% au Japon.
Ces totaux ne correspondent pas à une consolidation des trois catégories, car les ménages peuvent souscrire à la dette publique nationale (ce qui est massivement le cas au Japon par exemple), ils constituent néanmoins un bon indicateur du risque.
Si on s’intéresse plus spécifiquement aux entreprises, l’explosion de l’endettement permise par une baisse continue des taux d’intérêts à provoqué un gonflement général de l’activité (Chiffre d’affaires, indices boursiers) et de la taille des bilans, alors même que les capitaux propres de ces mêmes entreprises n’ont que faiblement variés.
Concernant les ménages,‘cet endettement à joué un rôle majeur dans la constitution et l’orientation de l’épargne’. ‘La valeur du patrimoine moyen est passée en France selon l’INSEE de 4.4 années de revenu brut disponible sur la période 1978-1997 à 7.5 années en 2007’. ‘Dans le même temps,[..] les ménages ont réduit la part liquide de leurs actifs financiers de 45 à 20% entre 1978 et 2007’. Le patrimoine financier en particulier et l’enrichissement des ménages en général (comprenant l’immobilier) progresse dans la plupart des pays plus rapidement que le PIB. Autrement dit, les ménages sont plus riches aujourd’hui qu’il ya 10 ou 30 ans grâce à là hausse de valeur de leur patrimoine, alors que leurs revenus (pensions et salaires) stagnent.
‘L’épargne complémentaire a largement incité les banques, [..], à accroître leur distribution de prêts et à imaginer de nouveaux produits pour les refinancer, en intégrant des composantes apparemment sans risques, comme les subprimes, pour améliorer le rendement des placements face à la concurrence’
‘La croissance du patrimoine, mesuré en pourcentage du revenu net disponible, augmente d’année en année dans les pays riches, traduisant le souci des populations de couvrir leurs besoins futurs, notamment de retraites, avec l’allongement des durées de vie. Le basculement d’économie d’entrepreneurs pour lesquels la monnaie doit servir à créer des richesses immédiates, vers des économies ou la rente financière prend un rôle croissant, éclaire la mutation profonde du concept de monnaie et du rôle des actifs dont les échanges ont été fluidifiés par les mécanisme de titrisation’
2 Titrisation et perte de contrôle sur une nouvelle monnaie
‘Le 15 août 1971, le métal cesse d’être un référence universelle et la valeur de la monnaie trouve désormais son unique source dans les échanges immédiats ou les crédits. La valeur du crédit, équivalent nominal de la monnaie, se justifie désormais soit par la production disponible de la nation concernée, soit par la capacité de l’état émetteur à équilibrer ses comptes’
‘La monnaie avait changé de nature’
‘Le mécanisme de création monétaire est un acte mettant en relation un agent financier ou non,[..], et une institution disposant d’un pouvoir monétaire, c'est-à-dire émettant une créance sur elle-même qui sera acceptée comme moyen de paiement’
Parallèlement, à partir de 1971 avec le Nasdaq, on voit apparaître de nombreux marchés électroniques peu réglementés, ayant un effet de ‘fractionnement’ sur les marchés, et sur lesquels les volumes échangés ne vont cesser de croître, particulièrement au cours de la dernière décennie (2000-2010) :’Les seuls index des principaux marchés de matières premières (DJ, S&P, SP) est passé de 13 milliards de dollars fin 2003 à 260 milliards en mars 2008 !’.
La boucle est bouclée quand à la fin des années 90 apparaissent les CDS, contrats de garantie d’échanges fiduciaires qui assurent la garantie des bilans des opérateurs financiers et de leurs engagements. ‘Un système nouveau s’était construit de lui-même, sans rapport nécessaire avec l’économie dite réelle.[..]. A l’instar des banques centrales qui certifient le caractère libératoire de la monnaie, les CDS assurent la garantie des titres échangés, ce qui confère à leur émetteur un pouvoir d’émission comparable à celui des banques centrales’. Pour mémoire, fin 2007, l’encours des CDS dépassait le PIB mondial à 62 trillions de dollars, il n’est ‘plus’ aujourd’hui que de 28 trillions.
‘Le développement des marchés financiers à ouvert aux agents économiques la possibilité de se financer auprès d’autres sources que les banques, éventuellement en dehors de leur zone monétaire.[..] Ce phénomène de désintermédiation permet aux entreprises de ne plus passer par les canaux bancaires traditionnels pour se financer ou faire transiter leur paiement’
‘Or en quelques années, les volumes de ces financements désintermédiés, [..]ont significativement dépassé ceux qui sont issu de la création monétaire, et ne sont pas comptabilisés dans la masse monétaire [..] Plus récemment, la titrisation a permis de diffuser des titres de financements interchangeables, en volumes considérables, en offrant la faculté de transformer toute forme d’actif en produit financier’
‘Au final, la désintermédiation commencée en 1984 sous Reagan aux Etats-Unis et en 1985 en Europe a abouti a ce que 75% de l’économie des Etats-Unis soient financés hors système bancaire régulé et seulement 25% en Europe (absence de fonds de pension)’
‘La titrisation a définitivement fait exploser les limites conceptuelles de la monnaie, en fluidifiant la frontière entre biens réels et actifs liquides […] le financement du système américain par les investisseurs (les non-banques) s’élevait à 72 trillions de dollars à la veille de la crise, soit 5 fois le PIB américain. Ces rachats ont grandement disparu de la visibilité des banques centrales alors que l’emprunteur ultime existait bien.’
‘Ainsi, du fait de la financiarisation de la monnaie, et surtout de la dérégulation de l’économie, il n’est plus possible de distinguer clairement et de manière justifiée la monnaie du pouvoir centrale d’autres valeurs d’échanges’
A ce stade les auteurs envisagent une solution au problème de non maîtrise de la masse monétaire réelle en circulation par les autorités au premier rang desquelles les banques centrales.
‘Les bilans comme les patrimoines doivent désormais être considérés dans leur expression monétaire. Il s’agit en effet d’actifs et de passifs échangeables donc de monnaie.[..].Le concept de masse monétaire doit être étendu à tous les actifs et passifs contractuels émis par une entreprise’
Je suis totalement d’accord avec cette analyse, mais ce vœu d’inclure les bilans dans les patrimoines et les bilans dans la masse monétaire montrerait de facto que nous venons de subir une inflation bien plus importante que celle qu’on nous annonce depuis 20 ans, et particulièrement depuis 10 ans (ce qu’illustre bien la perte de pouvoir d’achat en nourriture et en logement). Les autorités monétaires n’auraient pas d’autre choix que d’augmenter les taux ce qui effectivement est une mesure saine dans une phase d’inflation : il faudrait pour cela accepter de retirer leur ‘poule aux œufs d’or’ aux banques (c’est à dire les taux quasi nuls). Or l’expérience de la crise montre bien que les autorités politiques et monétaires n’imaginent pas pénaliser les banques. Au contraire, on a même changé les règles comptables pour les sauver (cf introduction et plus avant).
J’en suis malheureux, mais c’est un fait. En attendant, les agrégats monétaires type M3 ou M4 suivis par les banquiers centraux ne représentent plus rien, les auteurs de l’ouvrage étudiés proposent des nouveaux agrégats étendus aux bilans. Je vote pour, mais j’ai peu d’espoir.
En théorie économique classique, dont nos dirigeants actuels, et notamment les gouverneurs des banques centrales sont adeptes, ‘il n’y a pas de corrélation entre le niveau directe du patrimoine, qui a significativement progressé dans les pays développés, et celui de la masse monétaire.[..]L’accroissement du patrimoine, qui n’est pas un phénomène monétaire, n’a pas d’impact. Mais ceci devient faux le jour ou les agents économiques liquéfient leur patrimoine, par endettement ou titrisation, d’où l’importance du suivi de l’épargne et de sa nature.’
Cette analyse apporte une réponse à la ‘dé-corrélation entre la forte progression de la masse monétaire et l’absence d’inflation’.’La vision plus globale fournie par le suivi du patrimoine des entreprises qui a fortement augmenté, nous éclaire sur le fait que cette inflation des actifs, rendue possible par l’accroissement de la dette réelle de l’économie, a alimenté la consommation des ménages sans altérer leur revenu disponible. Cette inflation des actifs, que les économistes n’ont pas voulu appeler inflation en raison des dogmes monétaires que les banques centrales étaient chargés de surveiller, résulte d’une circulation monétaire accélérée par les techniques nouvelles de titrisation et de garantie s’appliquant sur un champ beaucoup plus vaste’
‘Le développement de l’ingénierie financière et des marchés de capitaux a fondamentalement modifié la structure de l’économie depuis vingt ans. Historiquement source quasi unique de crédit, les banques commerciales ont été progressivement supplantés par les institutions de marché, notamment au travers de la titrisation. Aux Etats-Unis, les acteurs les plus actifs sur ces marchés ont été les institutions de marché dont le total des actifs dépassait celui des institutions bancaires au deuxième trimestre 2007 (17.6 trillions de dollars contre 12.6 pour les institutions bancaires)
‘Avec la titrisation, le financement d’infrastructure lourdes, ferroviaires ou maritimes, d’avions se trouvait facilité dans le contexte de réduction du champ d’intervention des états. Le financement industriel était allégé par la cession de créances dont la gestion pouvait même être déléguée. Le financement bancaire était augmenté par la cession de portefeuille de crédits et la libération des capitaux propres mis en regard’
Le phénomène de la titrisation a été ‘boosté’ par l’apparition des CDS. Ces contrats garantissant le défaut d’un tiers, ils offrent ‘l’avantage fondamental de permettre une coupure totale entre cédant et cessionnaire, [..], et de rendre les produits titrisés extrêmement liquides puisqu’ils bénéficient comme la monnaie d’une garantie supérieure (Etat ou marché)’
Forts de toutes ces garanties (Fanny et Freddy pour les particuliers), les dettes se sont diversifiées, ont vu leur durée s’allonger, et leur prix baisser.
L’histoire a montré qu’en cas de crise grave, les émetteurs de ces garanties ne pouvaient honorer leurs engagements qu’avec l’aide explicite des états, ce qui semble logique pour les agences type Freddy ou Fanny qui s’apparentaient déjà à des organismes publics, mais qui est beaucoup plus contestables dans le cadre des CDS émis par AIG, et réglés au final par le contribuable américain.
A ce stade, comment également ne pas remettre en cause la légitimité des agences de notation américaines (Moody’s, S & P, Fitch), qui influencent massivement le marché par les notes qu’elles octroient, et qui n’ont pas plus que les banques centrales ou les normalisateurs comptables anticipé la crise (comme le montre le cas de Lehman dont la note était encore à A 2 mois avant sa faillite..).
3 Mélange toxique entre titrisation et norme comptable de la ‘juste valeur’
La norme IAS 39 a été adoptée en Europe en décembre 1998 avec prise d’effet au premier janvier 2001 ; elle ne rentre dans le référentiel normatif américain qu’en 2007 avec l’adoption le 15 septembre 2006 du standard FAS n°157.
Ces normes concernent les instruments financiers, c'est-à-dire les valeurs mobilières, et tout titre susceptible de négociation sur un marché financier. Ces méthodes d’évaluations s’opposent au principe du coût historique et aussi au principe de prudence ; elle a un effet procyclique. Mais dans l’esprit des normalisateurs, elle donnait une meilleure image de la réalité économique des comptes.
‘Avec les signes avant coureurs de la crise, un doute s’est progressivement instauré sur la pertinence des bilans bancaires en général et de tout bilan incluant des valorisations au prix du marché comme il est prévu par les normes IAS n°39 et SFAS n°157 en norme US GAAP.[..]. Ces comptes ne permettaient nullement à un lecteur d’apprécier les risques de liquidité et de valeur des actifs’
‘Nous avons déjà indiqué comment les banquiers avaient développé les instruments contractuels pour le financement ou le refinancement de tout type d’investissement ou de consommation, les MBS ABS ou CDO.[..]Ils ont enfin encouragé la comptabilisation de ces instruments à la valeur de marché’
Or l’erreur majeure de cette valorisation en juste valeur permise par les normes mentionnées ci-dessus repose sur une hypothèse de liquidité parfaite à tout moment des instruments valorisés.
Les auteurs retiennent la définition suivante pour la liquidité :
‘Un actif procure de la liquidité à une entreprise si celle-ci peut l’utiliser comme réserve en cas d’urgence, […], l’actif ne doit néanmoins pas perdre de sa valeur ou moment ou l’entreprise a besoin de fonds. A cet égard, le bon du Trésor se distingue de l’indice boursier ou du portefeuille hypothécaire en ce qu’il ne perd pas de valeur pendant une récession industrielle ou financière’
Tout le monde aujourd’hui reconnaît que c’était une erreur de valoriser tous les portefeuilles de titrisation en juste valeur. Néanmoins, pendant les premières années, cette valorisation à permis aux banques de générer des profits sur ces portefeuilles (qui apparaissaient souvent hors bilan dans des structures ad-hoc, dites SPV), grâce à la baisse des taux.
‘A la fin du processus, toutes chose égale par ailleurs, le système ne peut survivre à un PIB constant que soutenu par une baisse des taux.[..].La baisse des taux encourage les réévaluations d’autant plus facilement que les valeurs comptabilisées ne sont plus liées à la valeur des biens sous-jacents du fait de la norme. La chute n’est dès lors qu’une question de temps. A un instant donné, l’opérateur de marché estimera que les valeurs dans les comptes bancaires et dans les fonds alternatifs sont décalées par rapport à la valeur des gages. La suspension de ses interventions déclenchera immédiatement la disparition de liquidité’
On connaît la suite, la chute de liquidité sur les marchés des CDO et autres MBS déclenchent une chute vertigineuse de ces marchés, et des pertes de valeurs d’actifs abyssales pour les agents économiques les détenant en gage (essentiellement les banques). Si la norme comptable de la juste valeur avait perduré, un nombre important de banques et d’assurances se retrouvaient en situation de capitaux propres négatifs, c'est-à-dire de faillite. C’est à ce moment là que la norme comptable ‘décroche’.
‘L’arrêt des comptes du 30 septembre 2008 en plein milieu de la crise financière a rendue impossible la valorisation des portefeuilles de valeurs mobilières et des contrats si ce n’est à des valeurs de déroute qui auraient balayé le système financier’
‘Le 30 Septembre 2008, la SEC et le FASB assouplissaient la règle comptable imposant d’évaluer les instruments financiers dans les bilans à leur valeur de marché et autorisaient le passage au mark to model. Le 15 octobre, le règlement CE 1004-2008 relatif à l’IAS n°39 et l’IFRS n°7 autorisait lui aussi le reclassement des instruments financiers ne faisant pas l’objet d’un marché actif et donc devenus impossibles à valoriser [..]les normes imposent aux entreprises pour l’évaluation de leurs actifs des valeurs qui ne sont pas celles de leurs décisions économiques [..] Cette forme de collectivisation des entreprises au sein d’un système macroéconomique global, aurait pu entrainer une cascade de faillites en chaîne du fait de la chute brutale des valeurs de marché dans les bilans des banques et des assurances à l’automne 2008. Heureusement, le 15 Octobre 2008, sous la pression des gouvernements, la norme comptable a été décrochée’
Mais ce ‘décrochage’ ne constitue aucunement la panacée, et ne fait que repousser un mal profond. En effet, les entreprises possédant des portefeuilles titrisés de créances hypothécaires (principalement les banques et les assurances) ont réduit de fait leur solvabilité en compensant des gains incertains issus de la revalorisation de leurs portefeuilles avant la crise, avec des engagements certains, correspondant à de nouveaux investissements. C’est ce qui s’exprime dans le gonflement de la taille des bilans bancaires et de l’endettement brut total.
Le ‘gommage’ apparent de leur perte ne fait que repousser sur la durée des créances pourries au lieu de les comptabiliser au jour J.
‘Garantie et titrisation trouvent leur origine dans la création préalable d’une dette. Celle-ci est vertueuse si elle est destinée à financer des investissements créateurs de richesse’
Si la titrisation en elle-même corresponds à un progrès économique en permettant une circulation monétaire plus sécurisée et plus rapide, les auteurs reconnaissent aussi que ‘les marchés de créances titrisées portent essentiellement sur le financement immobilier (mortgage backed securities)’.
Or un investissement immobilier n’est a priori pas créateur de richesse au sens des gains de productivité ; on arrive au constat suivant : ‘La juste valeur a bénéficié du fait que les acteurs du monde financier ont voulu croie à un enrichissement par des valeurs de marché croissantes alors que ces dernières n’étaient liées qu’à des variations de taux ou à une spéculation et non à des gains de productivité’.
‘La juste valeur va généraliser l’effet de prix et c’est à ce titre qu’elle est monétaire. Elle a un effet directeur, celui des marchés, de même nature que celui des décisions d’une banque centrale. C’est un monde inversé’
4 Et maintenant ?
Les auteurs de cet ouvrage fondateur de ‘la monnaie virtuelle qui nous fait vivre’ font une analyse très fine de la situation économique mondiale actuelle. Ils identifient l’explosion de l’endettement concomitante à la baisse continue des taux d’intérêts depuis 30 ans, comme la matière première du développement des outils de titrisation. Ces derniers outils n’ont fait que prendre de la valeur de marché et ont gonflé les bilans des institutions de marchés et des banques. Ces surplus de valeurs ont été ‘monétisés’ ou monétarisés à outrance, sans regard avec l’évolution des capitaux propres des institutions les portant à leurs actifs.
‘Les agents économiques ont compris que les mécanismes de titrisation sans recours, les contrats d’assurance contre les défaillances CDS et les règles d’information financière dans un petit monde de professionnel du droit et de la comptabilité ne créaient pas une réalité. Ils ne pouvaient contourner cette absence de la dette et de l’absence de capitaux propres suffisants des banques, compte tenu de la vitesse de circulation des actifs et de la fragilité des valeurs constituées par les gages.[..]. Les activités bancaires n’ont été sauvées que par la réactivité des autorités politiques, en dépit des contestations de certains sur le bien –fondé de cette intervention (soit pour des raisons de protection d’intérêts particuliers, soit par philosophie politique).’
Je confirme, je me classe dans les opposants pour ‘philosophie politique’, je pense que la démocratie et la république ont plus à gagner dans une remise à sec du système que dans son maintien à flot.
‘Pour maintenir la valeur des contrats adossés aux prêts immobiliers résidentiels, il convenait à la fois de garantir à la fois les lignes interbancaires et les obligations des grands émetteur, mais aussi les divers véhicules juridiques (conduits, spv) dans lesquels les créances étaient placées. Ces garanties relevaient largement d’un droit contractuel naissant (CDS contrat ISDA) dont de nombreux banquiers connaissaient les limites. La défaillance morale des responsables des centres financiers et de leur régulation à l’égard du public est patente, mais trop d’intérêts étaient en jeu pour que seuls les inconscients le disent publiquement. Les normalisateurs comptables ont été entraînés dans cette voie critiquée[..]Comment apprécier correctement le montant de l’exigible figurant dans les comptes des entreprises concernées ? [..] Cette sous estimation du risque et le décalage dans le temps entre prime et survenance de l’évènement déclenchant conduit à d’immenses spéculations sur tous les marchés financiers liés à la liquidité’
‘Le système est donc devenu fragile à tous les niveaux, depuis l’emprunteur originel jusqu’à l’institution qui concentre les engagements’
Les auteurs légitiment le sauvetage des banques à plusieurs reprises :
‘Il est clair que sans le soutien des banques centrales, la contraction des crédits aurait été plus significative, et aurait pu entraîner une récession profonde’
‘Il n’est pas nécessaire de détailler le fait que sans l’intervention des états après le coup de tonnerre de la faillite de Lehman, l’ensemble du système économique et financier aurait sombré’
Ils n’en demeurent pas moins lucides sur le fait que l’essence des problèmes n’a pas été résolu.
‘La partie non comptabilisée de la dette des agences de garantie et la dette directe de l’état subsiste et s’est accrue avec désormais l’anticipation de sa croissance inexorable’
‘ A l’échelle de l’entreprise, il paraît également difficile de mesurer les contractions en valeur. Une transformation tectonique s’est produit, et la compréhension de ses conséquences reste limitée’
Les auteurs font ici référence au changement de norme comptable, qui s’il a permis la faillite immédiate, n’a fait que reporter des pertes potentiellement colossales dans le temps.
‘De part et d’autre de l’atlantique, le rebond de l’économie repose encore sur les plans de relance.[..].Les données sur la diversité des actifs en cause, leur contraction en valeur, leur dispersion géographique, n’est pas vraiment connue’
‘Le chiffre des provisions comptabilisés par les banques s’élèverait au total de par le monde à 1.7 trillions de dollars, sans que l’on puisse déterminer à quoi elles se réfèrent en base, durée, et quelles en sont les causes économiques et juridiques’
La notion du temps et de son traitement en comptabilité sont en effet cruciaux et les auteurs y consacrent une analyse détaillée ; Au-delà du risque de non remboursement dépendant de la contrepartie et de la durée, ils notent entre autre chose qu’un flux financier attendu n’a pas la même valeur selon que l’entreprise en ait besoin ou pas.
Les auteurs proposent la aussi des réformes comptables pleines de bon sens, pour une meilleure prise en compte des écarts de valeur entre coût historique et juste valeur, notamment au regard d’une réévaluation fondée sur des valeurs liquides et assimilées (bons du trésor).
Mais ils reconnaissent eux-mêmes que les pratiques actuelles restent dangereuses, notamment la pratique répandue de ‘window dressing’ pratiquée en fin d’année par les entreprises, et consistant pour ces dernières à améliorer leur bilan en acceptant souvent des taux exorbitants dans l’encaissement de leur compte client par exemple.
Au final quel est le résultat du maintien des banques sous ‘respiration artificielle’ ? Je diffère ici en pensée de la conclusion des auteurs et pense que la faillite des banques , au moins pour leur composante banque d’investissement n’aurait pas été si catastrophique pour l’économie dans son ensemble. Mieux, en laissant faire la contraction de valeurs des actifs notamment immobilier et alimentaires, on aurait redonné du pouvoir d’achat aux salaires.C’est ma grande théorie depuis toujours, les quelques lecteurs assidus de mon blog le savent (laissez moi rêver que j’ai des lecteurs assidus J)
Les auteurs de ce fantastique ouvrage reconnaissent d’ailleurs l’absurdité du fait que les banques, qui ont largement profité de la surévaluation momentanée des créances, notamment immobilières, bénéficient aujourd’hui en retour des déséquilibres résultant de la baisse des valeurs actives correspondantes à ces créances.
‘Ainsi, les taux bonifiés par les politiques monétaires, [..], sont destinés à soutenir les entreprises endettés aux capitaux propres insuffisants, pour certaines d’entre elles proche de la faillite. [..]Il en résulte des atteintes au droit de la concurrence’
Les entreprises visées sont principalement les banques.
‘Dans un contexte dépressif, un accroissement des flux d’exploitation est exclue, sauf pour les banques de transformation dopées par la faiblesse des taux de refinancement’
Mieux encore ;
‘Dans ce scenario en cours, la dette des agents économiques ne peut qu’être reprise et portée progressivement par les Etats, d’autant qu’ils deviennent transformateurs monétaires du fait, pour les mieux notés d’entre eux, du taux très faible de leur dette’
Tout est dit, cela correspond à la réalité, pourquoi laisser autant de pouvoir aux banques, alors qu’elles plombent par leurs pertes les finances publiques ? La question se pose du pouvoir politique des banques à travers leur taille et leur concentration excessives.
‘Les dirigeants politiques ne maîtrisent plus les conséquences de phénomènes qu’ils ont laissé sortir de leur contrôle de souveraineté. Tous ont profité de la globalisation et de la création monétaire incontrôlée’
‘La dette privée à l’origine de la déroute est transformée en une dette publique’
‘JP Morgan, Goldman Sachs, Morgan Stanley, Deutsche Bank et Barclays, sont contrepartie de près de la moitié du marché des CDS. La BCE souligne que cette concentration que la crise a accrue augmente le risque de perte de liquidité en cas de nouvelle faillite’
‘Il faut souligner à ce stade la concentration du système de contrôle et de validation des comptes réalisés sur les agents économiques puisque les plus grands cabinets d’audit, surnommés big four, (Price Waterhouse Coopers, KPMG, Ernst & Young, Deloitte), chacun employant entre 135000 et 165000 collaborateurs certifient la conformité de près de 95% des comptes des entreprises faisant appel public à l’épargne.’
Cette concentration des banques d’une part, et des organismes censés les contrôler d’autre part ne fait que renforcer les risques de conflits d’intérêt, d’autant plus que les certificateurs sont payés par les entreprises qu’elles certifient.
Même les auteurs avouent ‘Tout porte à croire que les Etats ont été dépassés par la généralisation brutale de l’ordre marchand et la financiarisation de l’économie’.
A ce stade , je suis obligé de noter que la préface de cet ouvrage est signée par Mme Christine Lagarde, ministre actuel de l’économie et des finances, elle site même des sages chinois qui prédisaient déjà il y a plus de 2000 ans que ‘ la monnaie comme moyen universel d'échange ne procure plus aucun avantage quand les spéculateurs s'en accaparent’.
Doit on comprendre que Mme Lagarde adhère aux démonstrations de l'ouvrage, et reconnaît une inflation niée jusque là et une politique monétaire qui profite avant tout aux banques? Elle est bien placée pour prendre des mesures, ou au moins pour se faire entendre. Que notre ministre assume cette préface et qu'elle aille plus avant dans le sens des auteurs!
Doit on comprendre que Mme Lagarde adhère aux démonstrations de l'ouvrage, et reconnaît une inflation niée jusque là et une politique monétaire qui profite avant tout aux banques? Elle est bien placée pour prendre des mesures, ou au moins pour se faire entendre. Que notre ministre assume cette préface et qu'elle aille plus avant dans le sens des auteurs!
‘Il est paradoxal de constater que les activités de marché des banques ont atteint en 2009 des niveaux de rentabilité inégalés, ce qui explique le montant de bonus encore très élevé distribué’
‘La concentration et l’ampleur des masses sous gestion contribue à l’explosion des bonus, faussement légitimés par la taille des bilans et des flux’
‘L’utilité économique d’une rotation accélérée des instruments financiers reste encore à déterminer. [..].Le fractionnement des marchés et la concurrence n’ont pas permis de réduire le coût du capital des émetteurs’
‘L’intervention systématique des états et la garantie des dépôts bancaires ne peuvent pas constituer la base d’un système financier équilibré’.
‘Si les structure du système bancaire et monétaire ne se sont pas effondrées, rien n’a été véritablement résolu et décidé pour en traiter les causes.[..]. D’autres traitements ont des effets toxiques à plus long terme, qui viendront s’ajouter à la gravité du constat. C’est d’abord la politique monétaire des taux bas qui ne traite pas les causes structurelles de la crise, et retarde les ajustements nécessaires. C’est ensuite, en l’absence de contraintes règlementaires fortes, le comportement des établissements financiers dans un contexte de crédits raréfiés et de concurrence quasi inexistante’ .